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Raspoutine… le nom évoque l’intrigue, le meurtre, la trahison, la luxure, les forces du mal et un regard incomparable. Vivant, il était pour ses partisans le bienfaiteur vénéré, le guérisseur aux immenses pouvoirs, le conseiller spirituel en lien direct avec le Très-Haut, et pour ses ennemis le pire mal de la Russie, traître à son clergé, à son tsar et à son peuple. Mort, il reste la créature sulfureuse qui aura causé la perte de tant de femmes et celle de la Russie.  

L’homme était hors du commun, magnétique, culotté et peu concerné par les égards dus aux puissants de son monde. Les pages que lui consacre Alexandre Spiridovitch, chef de la sûreté de Nicolas II chargé de veiller sur le protégé du couple impérial, décrivent un opportuniste mêlé presque sans le vouloir aux intrigues et aux jeux de pouvoir qui empoisonnaient alors la vie politique russe, et préoccupé surtout par la sauvegarde de cette place qu’il avait gagnée auprès de la Tsarine et qui lui permettait peut-être l’essentiel: vivre exactement comme il l’entendait.

Comparez ce portrait aux visages que lui a donnés la postérité: c’est le Raspoutine d’Hugo Pratt, insaisissable compagnon de Corto Maltese, qui reflète le mieux la complexité de ce que l’homme a pu être. Hugo Pratt grâce auquel la route de Raspoutine croise celle d’un autre mythe arpentant les confins de l’Empire russe agonisant: le Baron Ungern, dont les rêves fous et les traces sanglantes hantent encore les steppes.

Lire la biographie de Raspoutine par Alexandre Spiridovitch et celle du Baron Ungern par Léonid Youzefovitch, publiées aux Éditions des Syrtes, laisse cette persistante impression : les deux hommes étaient plus fascinants encore que leur légende.


À lire
Raspoutine, d’Alexandre Spiridovitch, Éditions des Syrtes, 2015
Le Baron von Ungern – Khan des Steppes, de Léonid Youzefovitch, Éditions des Syrtes, 2001


Extraits  (chapitre II)
Raspoutine, d’Alexandre Spiridovitch, Éditions des Syrtes, 2015

« Raspoutine erra trois ans, de 1893 à 1896. Il parcourut des milliers et des milliers de verstes dans la sainte Russie et, après avoir vu bien des pays et bien des gens, après avoir surmonté de grandes difficultés, il atteignit enfin le mont Athos avec Petcherkine.

Mais ce lointain monastère, si cher au coeur de tout vrai orthodoxe, ne lui plut point. La règle en était sévère et rude. Les deux amis durent se mettre immédiatement à travailler. Cela ne fut pas du goût de Raspoutine, qui était paresseux par nature et qui, chez lui, restait souvent oisif. En outre, les femmes étaient bannies des monastères russes, aussi bien que des vingt autres monastères orthodoxes du mont Athos. Sur la presqu’île de cent kilomètres de long et de vingt kilomètres de large où se dressaient ces monastères, pas une seule femme. Raspoutine, qui était d’un tempérament passionné et fougeux, souffrait de cette continence forcée. Une fois qu’en compagnie de Petcherkine, il traversait le bois qui entourait le monastère, il surprit dans un fossé un moine en compagnie d’un jeune et beau novice.  Pour ce paysan de Sibérie resté encore tout près de la nature, c’était là un vice inconnu. Il cracha de dégoût et se répandit en invectives contre la vie que l’on menait au monastère. Peu de temps après, il quitta le mont Athos pour rentrer en Russie. Petcherkine, lui, resta, se fit moine et mourut au mont Athos.

À partir du moment où Raspoutine reprit, seul, le chemin du retour, on ne connaît sa vie, ou plutôt des fragments de sa vie, que par ce qu’il en a raconté lui-même. Et, cependant, cette période de son existence est d’une importance capitale, car c’est au cours de ces années qu’il devint ce personnage tragique – starets pour les uns, diable sacré pour d’autres, khlyst et charlatan pour d’autres encore – qui apparut un beau jour à Saint-Pétersbourg et devant lequel s’inclinèrent avec adoration tant d’humbles gens et de puissants de ce monde.

Raspoutine chercha la solution des questions qui le tourmentaient dans la visite des lieux saints, dans des entretiens avec des membres du clergé blanc et avec des moines, dans des conversations avec des errants, avec des pèlerins comme lui. Quelle était la voie du salut? Comment sauver son âme? Le monastère ne l’avait pas satisfait, car la chair et l’esprit menaient en lui un combat incessant. Il discuta également avec des représentants des sectes religieuses, avec des vieux-croyants. Tous, à leur manières, cherchaient la voie du salut. Tous croyaient l’avoir découverte et tous pensaient avoir trouvé le vrai Dieu. Il rencontra également des khlysty et, dans leur doctrine, il lui sembla qu’il y avait bien des points curieux et pleins d’intérêt.
Peu à peu, il s’habitua tellement à vivre dans cette atmosphère de recherche de la vérité divine et devint tellement versé dans les questions religieuses qu’il se prit à parler et à discuter avec plus d’assurance et commença à enseigner lui-même les autres.

De taille moyenne, nerveux, osseux, le visage maigre, pâle et jaunâtre, la barbe en broussaille, il produisait une impression extrêmement forte sur son interlocuteur qu’il examinait de ses yeux brillants qui semblaient le sonder et, pour ainsi dire, le transpercer. Il avait une voie saccadée et parlait par énigmes. Il citait fréquemment l’Evangile, les Pères de l’Eglise. Tout en parlant, il ne cessait de tourmenter sa barbe, de se remuer et de jeter sur son interlocuteur des regards scrutateurs et pleins de méfiance. On aurait dit qu’avec ses yeux il lui regardait l’âme, afin de savoir ce qui s’y passait et quel était l’homme qu’il avait devant lui.

Il y avait en Raspoutine quelque chose de particulier, on sentait en lui une force intérieure remarquable (plus tard, on parla d’hypnotisme). Quand, les yeux plantés dans ceux de son interlocuteur, il semblait lire sur son visage, lui parlait de son passé ou lui prédisait l’avenir, on aurait dit qu’il avait le don de voir dans le temps. Les femmes le considéraient presque comme un prophète, un saint homme.

Notre intelligent paysan s’adapta vite à cette vie de vagabondage et de paresse. Se rendant compte de l’impression qu’il produisait, il s’habitua à ce qu’on le traitât avec égards et avec respect. Il entra dans la peau de son personnage. Les femmes, surtout, l’attiraient et allaient à lui.
Aussi bien sont-ce les errantes qui, libres par nature et par la vie vagabonde qu’elles menaient, ont formé Raspoutine et contribué à l’élaboration de sa doctrine sur les voies du salut; doctrine assez curieuse, faite d’emprunts à la religion orthodoxe, ainsi qu’à différentes sectes, et portant en outre l’empreinte de la nature passionnée de Raspoutine ».

La suite ici!  Raspoutine, d’Alexandre Spiridovitch, Éditions des Syrtes, 2015

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